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THEMES HEBDOMADAIRES

le genre expérimental

A la fin des années 50, à New York principalement, s’est révélée une nouvelle génération de cinéastes (Jules Dassin, Robert Aldrich, John Cassavetes, ...) à la généalogie du cinema moderne à l’américaine en concurrence avec l’industrie hollywoodienne, jouissant à cette époque des derniers fruits que lui offrait son cinéma dit « classique ». Cette nouvelle vague new-yorkaise emporta dans ses filets un lot de cinéastes se voulant plus modernes que les modernes et se constituant alors en sous-genre : l’expérimental. Plus précisément, l’expérimental contemporain.

Jonas Mekas, Kenneth Anger et Bruce Baillie furent les étendards de ce genre en rupture avec le cinéma conventionnel. Le premier d’entre eux fonde The Film-Makers’ Cooperative en 1960 afin de distribuer convenablement les films avant-gardistes de cette période (d’Andy Warhol, de Barbara Rubin et d’autres).

Tenter de définir le cinéma expérimental, c’est potentiellement procéder à un exercice qui s’annule ; il s’agirait finalement d’établir des normes d’identification sur un genre qui justement en refuse et ainsi ne pas donner droit à l’essence de cette expression. Toutefois, le passage du temps et l’accumulation des œuvres ont fait naître des traits communs qui nous permettent aujourd’hui d’en donner un cadre idéologique leste.

Au fond, et de la manière la plus simple, le cinéma expérimental pourrait se définir comme l’emploi des techniques de captation cinématographique à des fins de recherche d’un nouveau langage, parfois phatique, qui autorise un abandon des règles de narration conventionnelle au mépris des attentes d’un spéctatorat et puis qui alimentent une réflexion sur l’état de la technologie de son époque.

Il est donc raisonnable de parler de cinéma expérimental contemporain au sujet des artistes américains de la fin des années 50 puisqu’une telle définition nous permet ainsi d’intégrer dans le genre expérimental bien des œuvres qui les précèdent et qui attestent d’un mouvement important dès les prémices du cinéma : c’est à titre d’exemple le travail de Hans Richter, de Man Ray ou de Dziga Vertov dans les années 20.

L’expérimental a su se disséminé ponctuellement au sein d’œuvres de plus en plus populaire et conventionnelles par des artistes de moins de moins à la marge d’un cinema traditionnel. De Henri- George Clouzot (L’Enfer, 1964 et La Prisonnière, 1968) à David Lynch (Eraserhead, 1977 et Twin Peaks : The Return, 2017) jusqu’à Stanley Kubrick (2001 : L’odyssé de l’Espace, 1968) nous trouvons des traces de cette politique de l’image. Lors de la décennie qui vient de s’écouler, 3 des 11 Palme d’Or remises au Festival de Cannes l’ont été pour des long-métrages apparentés à des œuvres expérimentales : Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul (2010), The Tree of Life de Terrence Malick (2012) puis Le Livre d’Image de Jean-Luc Godard (2018).

Souvent, les critiques adressées à l’art contemporain sont reproductibles au cinéma expérimental qui se trouve à la lisière de ces domaines : il serait un art qui s’annonce beaucoup, très programmatique qui dit plus qu’il ne fait. Pour le cinéma expérimental, cela se réduit ) exercice de style.

Ce serait Godard qui fait un plan-séquence aussi long que la longueur d’une pellicule pour en matérialiser les limites (Weekend, 1967), Andy Warhol qui filme en plan fixe l’Empire State Building pendant 8 heures (Empire, 1964) ou Marguerite Duras et Gérard Depardieu qui se filment en train de lire le scénario du film en lieu et place du film lui-même (Le Camion, 1977). Certes. Mais cet inconfort grandissant face aux œuvres expérimentales témoigne sûrement d’un délaissement croissant du cinéma comme art de l’image au détriment d’une machine à distraire. Toutefois, il aura à jamais le mérite de rappeler le cinéma à sa fonction originelle, celle des frères Lumière, qui destitue le spectateur de son confort, le manipule ; la narration et le balisage d’un propos qu’il ne saurait dorénavant plus contrôler.

Le l'aspect musicale du genre repose sur un postulat similaire : faire des techniques de création et d’enregistrement du son les outils d’un travail de recherche sur la condition de celui-ci et sur l’état de la technique actuelle avec le souhait d’atteindre une nouvelle forme de langage sonore.

Il s’agit moins d’un genre à part entière qu’une méthode de travail qui tend à réactualiser les coutumes d’un secteur ou d’un style musical en stagnation, se suffisant de ses moyens usuels de production, d’enregistrement et de post-production au risque de se morfondre dans l’apathie de ses créateurs.

C’est en tout cas la démarche que l’on peut soupçonner de la part des John Lennon et Yoko Ono qui, en 1968, sortent « Revolution 9 » sur le neuvième album des Beatles, The Beatles. Pour la première fois, ni batterie, ni guitare, ni piano ne composent ce titre, mais belle et bien les bandes passantes d’un morceau enregistré, celles-ci étant découpées puis remontées sous diverses formes puis entremêlées d’une voix mécanique pour nous offrir une composition sonore de 8 minutes 22 en rupture radicale avec les courants psychédéliques que connaît le rock à cette époque, mais plus généralement avec les pré-dispositions dans lesquelles se sont contraintes les créations musicales avec le temps.

De tels projets ont été d’autant plus envisageables que la numérisation de la musique s’est rapidement démocratisée aux moyens de nouvelles technologies. Les boites à rythmes, les synthétiseurs, les échantillonneurs, les loop stations ou encore les MIDI, pour ne citer qu’eux, ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche considérables et encore inépuisées aujourd’hui.

C’est donc aux moyens des avancées technologiques qu’une bonne partie de l’entreprise expérimentale musicale a su évoluer là où pour le cinéma, la création du dispositif comme l’avait envisagé les frères Lumière fut suffisant pour entrevoir les possibilités de cet art, notamment au moyen du montage et de la surimpression.

La musique n’a toutefois pas par été en reste et a également pu bénéficier de la créativité de ses artistes par des savoir-faire non-usuels qui ont porté à l’attention du public de nouvelles méthodes de confection musicale. Le plus célèbre étant, semblerait-il, le sample, mais également l’enregistrement en- dehors du studio ou de sons en tout genre, indisposé à la composition musicale à l’origine, mais aussi la non-linéarité d’une piste : de nombreuse pratiques qui ont désormais inondé le circuit musical mainstream, réunissant un large public (de Kanye West à Hans Zimmer, de Apex Twin aux Beatles, de Radiohead à Björk).

Finalement, on s’aperçoit que ni la musique ni le cinéma expérimentale ne sont condamnés à exister dans une marge de l’Art, renvoyé à leur originalité prétendument insoluble avec les courants de l’époque.

Par Joris Mezouar

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