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Photo du rédacteurECRAN DROIT

INDIA SONG (1974) - MARGUERITE DURAS



DELPHINE SEYRIG ENTOURÉE DE C. MANN, M. CARRIÈRE, V. DOBTCHEFF

ET D. FLAMAND

Si Marguerite Duras est une figure incontournable de la littérature française du XXème siècle, son œuvre cinématographique, bien que fournie, reste plus confidentielle aux yeux du public. De la même manière qu’elle a imposé son style si particulier à l’écrit, elle se distinguera par une maitrise de la forme révolutionnaire au cinéma. L’écrivain et la cinéaste ont poursuivi le même parcours, elles ont commencé par une première œuvre maitrisée, complète, en adéquation avec l’époque (Les Impudents pour la littérature et La Musica pour le cinéma) puis ont ensuite déconstruit petit à petit leur style par différentes œuvres pour laisser émerger une forme d’art unique, à l’écrit comme au cinéma.

India Song, réalisé en 1975 témoigne de ces influences, adaptation d’une de ses pièces de théâtre elle-même adaptation d’un de ses romans. C’est un film de l’écrit où la parole est l’égale de l’image, où l’imagination du spectateur retrouve l’imagination du lecteur.

Dans les années 30, à Calcutta dans les Indes, Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig) épouse de l’ambassadeur de France s’est éprise d’un homme. Le vice-consul de Lahore (Michael Lonsdale) lui avouera sa passion au cours d’une réception. Les acteurs ne se parleront jamais. Plusieurs voix off sans visages racontent d’une voix monotone Anne-Marie Stretter, elles sont imparfaites, ne se souviennent pas totalement, se complètent. On ne saura jamais vraiment si elles disent la vérité, qui sont-elles.

En plus de ce procédé de narration complexe, la temporalité particulière du film vient bouleverser nos repères. Le rapport au temps est distendu et non linéaire, la parole précède l’image. La bande son n’illustre pas l’image, elle s’écoute en comparaison avec celle-ci et garde sa propre autonomie. Les voix racontent un temps antérieur à celui que nous voyons à l’écran, le son est comme désynchronisé. Le spectateur imagine le passé en contemplation du présent, les acteurs agissent à la manière de fantômes, vivants dans une histoire antérieure, désormais inanimés. Les objets qui remplissent les pièces de l’ambassade tiennent lieu de vestiges.


Les éléments majeurs du film sont narrés mais n’ont jamais lieu dans le champ, tout au plus suggérés par les décors. Le spectateur devra se représenter la mendiante introduisant « Les Indes », le vice-consul criant son désespoir, les amants et la mort de sa protagoniste.

Anne-Marie Stretter a été tout, elle n’est plus rien. India Song a raconté ses passions, son amour pour l’amour, India Song raconte son spleen, son ennui, sa dépression. Delphine Seyrig irradie son personnage, d’une sensualité extrême, chevelure rousse, robe de soirée rouge, elle déambule sans émotions à la recherche de sensations dans l’ambassade. De très lents plans séquences accentuent cette impression. Additionnée d’une photographie magnifique et d’un profond sens du détail, Marguerite Duras nous plonge dans de véritables tableaux animés.

India Song est aussi un air de musique de jazz (jouée par Carlos D’Alessio) nostalgique et lancinant jouant en boucle tout le long du film. Si l’expérience est exigeante, c’est bien cette composition qui constitue son fil rouge et retranscrit à merveille son ambiance moite et sensuelle.


Marguerite Duras nous touche ici par la beauté de ses mots et la l’élégance de sa mise en scène. Si India Song est sans aucun doute une œuvre difficile par son concept et l’incompréhension qu’il peut générer, il s’agit pour celui qui réussira à entrer dans cet univers, d’un pur chef d’œuvre esthétique et émotionnel.


par TIMOTHÉ SAUVAGET

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