par JORIS MEZOUAR
par Laurent Koffel
Il entre en scène sous les applaudissements puis s’installe sans plus attendre au piano pour jouer le thème de 37°2 le Matin, celui qui sublime la scène de piano à quatre mains entre Jean-Hugues Englade et Beatrice Dalle.
Vient ensuite le temps des discussions, où toutes les pièces évoquées sont expliquées et détaillées au piano.
Son éducation musicale
Gabriel Yared grandit au sein d’un creuset musical où rapidement, le jazz et notamment John Coltrane se démarquent. Cette « musique qui swing », comme il l’aime l’appeler, donne à voir de ses origines. Il aime ça. La musique ethnique, c’est-à-dire la musique première, qui est à l’origine des différents courants - ceux que nous avons connus et ceux que nous connaissons aujourd’hui. Pourtant, quelque chose fait défaut dans ce paysage musical éclectique. Il confesse avoir eu une aversion pour la musique orientale populaire dans son enfance, celle qui vient « du bas du ventre ». C’était une piqure de rappel de ses origines dont il voulait se délier.
Il s’engage dans la musique en tant qu’auditeur libre d’abord. Son avantage est de déjà savoir lire une partition. Ainsi, il s’exerce jusqu’à acquérir une aisance suffisante pour se lancer dans l’orchestration. Il accumule les collaborations toutes aussi prestigieuses les unes que les autres (Mireille Mathieu, Jacques Brel, Charles Aznavour, Johnny Hallyday et Françoise Hardy entre autres) mais arrive rapidement à bout du plaisir qu’il a à cela.
Il conçoit les limites de son autodidaxie et décide en 1979 de prendre une année sabbatique au cours de laquelle il apprendra deux techniques essentielles pour sa carrière : le contre-point et la fugue. Ces compétences musicales l’ont guidé vers l’indépendance et la liberté de création.
C’est alors que vient le cinéma, du moins Jean-Luc Godard (si tant est que Jean-Luc Godard soit réductible au cinema).
La rencontre avec Jean-Luc Godard
Sa rencontre puis collaboration avec Godard furent importantes pour lui. Après tout, c’est le propre de Godard de rendre tout ce à quoi il participe insolite, incomparable mais surtout original.
La connexion s’est faite grâce à Jacques Dutronc (acteur dans Sauve Qui Peut (La Vie) (1980) qui conseilla à Jean-Luc Godard de rencontrer Gabriel Yared. Ce dernier, qui vient tout juste de quitter l’orchestration se voit proposer… de l’orchestration. Il décline alors les propositions de Godard qui avait projeté une orchestration de Ponchielli et des musiques véristes pour son film.
Finalement, Jean-Luc Godard revient vers lui pour lui concéder une partition originale.
Il conclut ce chapitre par un éloge au cinéaste. Il retient surtout la manière qu’il a d’appréhender la musique, de trancher dans le vif, la découper quitte à la réorganiser au montage. Godard est un « éveillé » - quelqu’un qui porte du respect pour tous les co-auteurs du film. C’est un homme qui a bouleversé son existence. Au-delà d’être un grand cinéaste, c’est avant tout un grand penseur.
Son approche du travail de composition
Le point commun qu’il dégage lors de ses collaborations suivantes est le travail en amont, en collaboration avec le scénariste et le réalisateur - tous trois les seuls co-auteurs sur un film.
Il considère cela comme une approche, pas comme une méthode. Le succès n’est pas garanti, mais il s’agit là de l’approche la plus honorable et respectueuse, mais surtout la plus efficace pour lui. Il reconnaît volontiers que travailler dans la contrainte, comme l’a fait Michel Legrand, pris en exemple par le journaliste, peut réussir à certains. Mais il nuance en rappelant le talent inégalé de Michel Legrand qui était major au conservatoire de musique.
L’une des illustrations les plus pertinente de cette approche de travail est son travail pour Jean-Jacques Annaud sur le film L’Amant, une adaptation du livre de Marguerite Duras. Il s’installe de nouveau à son piano pour expliciter la création de ce thème qui lui a valu le César de la Meilleure Musique.
Il explique avoir été contacté 8 mois avant sur le projet pour composer le thème du film. Jean-Jacques Annaud ne lui conseille pas de lire le livre avant et pour seule indication, lui parle d’arpège. Il retourne à la musique ethnique vietnamienne et s’imprègne de leur manière d’appréhender les arpèges pour composer un premier mouvement. Lui revient ensuite une valse de Chopin qui, semble-t-il, était l’une des musiques préférée de Marguerite Duras. Il inspire alors cette valse dans un deuxième mouvement et conclut le troisième mouvement par une répétition du premier.
Le thème du film est alors composé.
Il théorise la réussite d’une musique de film selon son interchangeabilité dans le film. À titre d’exemple, dans The Talented Mr. Ripley (1999) d’Anthony Minghella, pour la scène où Tom Ripley (Matt Damon) sort de la douche avec une lame de rasoir caché dans la poche de son peignoir pour vraisemblablement tuer Marge (Gwyneth Paltrow), était prévue une musique très mièvre au bout du compte. Un autre mouvement a donc été utilisé et gardé au montage final. Dans l’esprit du travail fourni auprès de Jean-Jacques Annaud pour L’Amant, il considère qu’une fois la musique empreint de l’esprit du film, celle-ci sied à n’importe quelle scène. Mais pour arriver à ce degré de perfection, la collaboration étroite du compositeur est indispensable.
Rétrospectivement, il analyse son travail avec Jean-Jacques Annaud et Anthony Minghella comparable aux couples que formaient Hermann/Hitchcock et Morricone/Leone dont il explique la longévité et le succès par le travail en étroite collaboration - à savoir, pour le réalisateur, considérer la musique à l’égal du scénario et des acteurs. Comme pièce maîtresse d’un film. Ce sont de grands réalisateurs qui n’hésitaient à se détourner quelques instants du réalisme pour ne laisser que la musique sonoriser l’image.
Ses revendications pour l’auterat musical au sein des productions cinématographiques
Il milite pour la démystification des partitions. Il appelle de ses voeux à un organisme de centralisation et d’accès à toutes les partitions musicales. C’est en ayant accès aux partitions que les artistes, futurs compositeurs pour le cinéma pour certains, vont pouvoir comprendre la musique. Ne pas rester dans une contemplation stérile de grandes oeuvres et de grands artistes, mais s’y confronter. C’est en allant lire les partitions de Bach, dont il joue un morceau tous les matins, qu’il a pu y mieux appréhender le génie de cet artiste.
Ont également été abordés ses autres collaborations avec Jean-Jacques Annaud, avec Michel Ocelot, sa relation particulière avec Anthony Minghella (qu’on peut retrouver sur le documentaire Bandes Originales par Pascale Cuenot) ainsi que son licenciement du film Troie (2004) de Wolfgang Petersen.
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