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Photo du rédacteurECRAN DROIT

S16 (2020) - WOODKID

Dernière mise à jour : 16 nov. 2020

par JORIS MEZOUAR



Ce qui frappe à l’écoute de S16, c’est la fracture du réel que semble avoir acté Woodkid, 7 ans après son dernier album The Golden Age, bien que ses remarquables projets intermédiaires, comme la bande-originale du film Desierto de Jonas Cuaron (2015) et son EP sorti pour les défilés de mode de Louis Vuitton par Nicolas Ghesquiere, aient amorcé ce tournant.


S16 s’annonce par sa pochette comme un monde virtuel auquel l’artiste même ne peut échapper. Il enlace cet homme venu d’ailleurs dont chacun ira de sa théorie sur le pessimisme ou non de cette représentation.

Ce qui caractérise la musique de Woodkid, ceci étant valable depuis ses débuts, c’est la notion de quiétude qui a intimement à voir avec notre environnement et en partie celui de notre écoute. Dans S16, on est plongé dans un monde crépusculaire, où « the chaos won » (Shift) et l’intranquillité nous envahi.



The Golden Age reposait sur un mouvement du passé allant vers le présent. Dans ce récit d’émancipation et d’affirmation, tout faisait actuel: l’imagerie qui recyclait puis associait des matières et des formes repeintes d’un blanc neutre et intemporelle et la réactualisation d’artefacts. Les partitions aux sonorités moyenâgeuses suivant cette logique avec l’association de sons « premiers » venant d’instruments à vent, à cordes et de percussions en lesquels nous pouvions croire et avions confiance. Le tout formant une musicalité proche des musiques actuelles où la partition rythmique accuse de manière récurrente tous les temps de la mesure.

Or, avec S16, il dilue à notre réalité un univers alternatif. On serait pressé de dire qu’il s’agit d’un univers futuriste mais la représentation par l’homme de sa propre condition est un procédé qui existe déjà depuis des siècles. Simplement ici, les sons « premiers » se font plus rares, supplantés par des mouvements de mélodies électroniques et vocales épatants (Horizons Into Battlegrounds), par des envolées rythmique discrépant parfois et un agencement de la structure musicale qui force au respect de par son ingéniosité.


Goliath, qui ouvre cet album, nous introduit à des sons fabuleux en lesquels nous ne pouvons désormais plus croire : nous aurions du mal à en donner une provenance ainsi que les décrire. Ils nous sont étrangers et la perte de repère commence. Il procède à « la destructions des grandes forces » - sa manière à lui de définir ce projet.

Cet univers est d’autant moins futuriste que la crise écologique, les attentats à Paris, une rupture amoureuse et la dépendance aux médicaments irriguent la narration de cet album où Woodkid adopte une voix plus solennelle qu’avant, détonant alors avec les quelques envolées aiguës qui déchirent l’harmonie en place (Pale Yellow).



Privé de percussions académiques et de sons « premiers » conventionnels, c’est sur des décombres industriels qu’il semble avoir entrepris ses frénésies instrumentales, avec parfois des excès appréciés comme l’éclatement des beats sur Enemy ainsi que la rythmique dissonante de Highway 27 voire même cette voix éperdue sur Shift à laquelle nous étions très peu habitués. Puis la perte de repères est telle qu’on se surprend à douter de l’humanité de ces chœurs angéliques mais à la fois menaçants dans Minus Sixty One, déjà audibles dans On Then And Now (2019), qui rappellent les motets de Tomás Luis de Victoria de la fin de la Renaissance espagnole et qui scandent cette interrogation qu’on a depuis le début de l’écoute: « Uchū tengoku ka? » (Univers ou Paradis ?).

Après The Golden Age, il réitère donc avec S16 cette diablerie temporelle et culturelle, à savoir brouiller les repères et nous emporter dans un voyage mystique, pour nous offrir une fois encore un somptueux projet, plus intimiste en apparence, qui se découvre sur un temps long. Il est l’un des rares artistes aujourd’hui à rendre audible son travail en ce sens qu’il laisse la chance à chaque son. C’est d’une clarté épatante et ce qui d’apparence nous semble âpre devient rapidement sublime, que l’on en redemande.


JORIS MEZOUAR



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