A l’occasion de la sortie de « The power of the dog » sur Netflix le 1er décembre 2021, il semble adéquat de rendre un énième hommage à la célèbre réalisatrice des première fois : Jane Campion.
Si l’expression de « première fois » est ici utilisée, c’est tout d’abord parce qu’avec son tout premier court métrage Peel (1982), elle reçoit déjà la Palme d’or du Court métrage à Cannes, prédiction, confirmée, d’un talent pour la réalisation. Mais c’est aussi, et surtout, la première femme réalisatrice primée d’une palme d’or, pour le chef d’œuvre « Leçon de piano » en 1993. Reçue en invitée d’honneur au Festival Lumière de Lyon, une rétrospective de tous ses films a permis de dénicher une pépite trop peu connue : « Holy Smoke ».
Pour replacer le contexte, il s’agit du cinquième long métrage de Jane Campion, elle décide à cette occasion de collaborer avec sa sœur Anna. C’est le génie des deux sœurs Campion qui permet la naissance du feu sacré : « Holy Smoke » en 1999. Ce film réunit deux grandes figures du cinéma : Kate Winslet (Rose pour les mordus de Titanic) et Harvey Keitel (déjà présent dans la Leçon de piano).
Pour ce qui est du scénario, Holy smoke commence en Inde en plein milieu des tissus, des odeurs, de la foule agglutinée, des croyances hindouistes et des jeunes étrangers occidentaux moulés dans leurs préjugés venus découvrir le pays. Kate Winslet incarne Ruth, une jeune australienne au caractère bien trempé qui est plutôt avide de découverte. Le point de basculement c’est lorsqu’elle se laisse séduire par le gourou d’une secte, prénommé Baba. Décidant du jour au lendemain de vouer toute son énergie à cette communauté et à ses préceptes sur l’Amour, elle en déchire son ticket de retour.
Très vite avertie, sa famille australienne, droite dans ses bottes, choisit de réagir drastiquement face à cette catastrophe. Le papa rechigne un peu pour à sortir l’argent mais ni une ni deux, Ruth est extraite de ce milieu « puant, grouillant et dégoutant » pour être isolée dans une maison avec pour seul compagnie un déprogrammateur professionnel en matière de secte. Le but est de lui enlever toutes ces sornettes de la tête et PJ, rationnel cow-boy qui en a vu long sait comment déprogrammer n’importe quel jeune et frêle adepte.
Pour autant Jane Campion arrive petit à petit à semer le doute. Tels des cailloux laissés par le petit poucet, le spectateur est amené à s’interroger sur ce qui est vrai, ce qui est faux, ce qui est bien et ce qui et mal.
Il est vrai que Ruth a été entraînée dans une secte, mais si elle y a trouvé une voie pour le bonheur, où est le mal dans ses croyances ? De plus sa famille si sûre de sa valeur « normale » a des signes religieux un peu partout, en plus de son attitude superstitieuse la caméra laisse entrevoir des jésus christ sur les murs au dessus des lits et des scènes où la famille se met à chanter des prières un peu à la façon de la secte de Baba. Où est alors la frontière entre religion et fausses croyances ? Qui décide de ce qu’il est possible, ce qui est « bon », de croire et ce qui est « mauvais » de croire ? Tout étant de toute façon croyance.
Le moment le plus émouvant est lorsque le déprogrammateur, PJ, baisse les armes devant l’abandon total de Ruth. Celle ci est perdue, sans plus aucun repère, elle est nue mentalement mais aussi littéralement. Elle a accepté la superficialité de Baba, et en réalisant son erreur, elle perd tout repère dans la vie. Elle se retrouve sans plus aucune croyance, sans foi. Perdue dans les limbes de la folie , au plus profond de son désespoir elle s’urine dessus en restant debout, tel un animal devenu inapte à survivre dans ce monde. C’était un gros risque pris par l’actrice, et une preuve de la confiance aveugle de Kate Winslet dans la direction de Jane Campion.
C’est à ce moment précis que PJ tombe aussi. Il rompt la fine barrière qui le séparait de Ruth, et il va tomber aussi profondément dans l’abîme qu’elle. Tout rationalité est mise de côté. Toutes les règles si brillamment mises en applications sont jetées aux oubliettes. le château de carte s’écroule et PJ l’embrasse contre toute éthique pour l’enlever de sa solitude, mais peut être aussi pour s’extraire de sa propre solitude. Deux âmes échouées qui n’ont plus aucune raison valable de croire en la vie voilà ce qu’il se produit dans ce paysage désertique.
L’isolement de Ruth qui devait la reconstruire brique par brique en bonne chrétienne, devient alors la métaphore du Titanic (clin d’oeil à Rose), le navire coule. PJ devient asphyxié par sa vieillesse, hypnotisé par la beauté fraiche et pleine de vigueur de la jeune australienne qui est, elle, en chute libre. Sa seule raison de vivre est devenu son désir d’être aimé, désiré par elle. C’est un véritable bras de fer qui s’est joué, et qui s’est perdu des deux côtés. Malgré la tenue de cow-boy et le comportement confiant de PJ, il n’est pas plus fort que cette frêle colombe dont les questions ébranlent une forteresse, et de son côté Ruth a perdu toute foi en Baba, et du même coup, dans la vie. Or tout être humain a besoin d’une raison de vivre et Ruth semble taraudée par cette question. Elle interroge le monde, son entourage, sa famille, PJ mais rien ni personne ne peut lui répondre.
La scène du dénouement, qui peut apparaître comme un spoil, mais qui est avant tout le point magistral de la poésie de Campion, c’est lorsque PJ habillé en robe rouge, sans plus aucune trace de ce cow-boy bien rodé du début, se traine dans le sable pour suivre désespérément Ruth qu’il voit désormais comme sa déesse Tara, à plusieurs bras.
Ruth est devenue aussi fermée qu’un roc et, s’étant confectionné des chaussure avec des livres (symbole des préceptes piétinés peut être ?), marche seule sans regarder en arrière.
La véritable puissance émane donc de celle qui semblait si fragile, celle qui semblait totalement égarée, ce qui laisse toutefois en suspend la question principale :
Quel sens y a t il à vivre?
Holy Smoke n’est pas un film sur les sectes. C’est un film sur le vide intergalactique de l’existence humaine. C’est aussi et surtout un film sur deux êtres qui se se fracassent l’un contre l’autre pour en ressortir nus, sans plus aucune certitudes.
PAR LOUISE HERBET
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